J'ai appris

Voilà un mois que mon papa nous a quitté.
En tant que fille, son départ a été une épreuve. Même préparée par des mois de maladie, une séparation reste une séparation avec son lot d'émotions : soulagement, manque, incrédulité, sensation de vide.
En tant qu'être humain, j'ai pu constater à quel point la mort, et dans une moindre mesure la maladie, est une expérience sociologique. A partir de l'instant où l'Être est en partance, certains masques se mettent peu à peu à tomber, les uns après les autres. On assiste alors à un jeu de rôle où chacun redéfinit ses places. SA place. Se disputant une position hiérarchique dans la souffrance ou auprès du défunt (ou du mourant). Comme un automate, j'ai alors assisté à ces jeux d'Ego qui se tiraillent, sans un cri, sans une remarque déplacée mais où finalement, personne n'est dupe. Ces masques tombés tirent en réalité le voile d'autres faces cachées; celle de la légitimité et de l'Amour. Ces voiles nous parlent de notre relation avec le disparu, de ce qu'on a donné et reçu (ou cru recevoir); de sentiments de perte et d'abandon, de trahison parfois, et pour la plupart, résidus du temps passé avec celui/celle qui part. Il nous parlent de ce qu'on a vécu, compris, apaisé et parfois transformé (ou pas). Lorsque la relation avec le/la défunt(e) reste inachevée, ou que ce ou cette dernier(e) emporte avec lui/elle ces mots qui auraient tout changer, qui auraient pu faire la différence, l'être humain, par réflexe, instinct de survie, cherche alors à se combler dans la reconnaissance de son statut d'endeuillé. Il attend que chacun réagisse envers lui comme il l'espère et surtout en a besoin. Le deuil entre alors en lutte avec l'empathie et c'est à celui qui sera le plus légitime dans ce combat, le plus souvent larvé.
Face à ce constat, qui se veut plus triste que cynique, j'ai pu expérimenter ma propre paix, celle qui depuis un mois ne me quitte pas. Il n'y pas un jour où je ne pense à mon père. Et pourtant, je ne ressens aucune amertume, aucun chagrin dévastateur. J'ai appris que lorsqu'on est en paix avec quelqu'un, son départ est plus facile pour celui qui reste. Jacques Brel a dit un jour :" La souffrance des enfants vient de ce qu'ils attendent de leur père qu'ils se comportent en père; or, ce ne sont pas des pères, ce ne sont que des hommes qui font ce qu'ils peuvent." Ces dernières années, j'ai vu cet homme fragile dans les yeux de mon père. Et ce que j'y ai découvert a rendu insensée et incohérente toute illusion et toute attente, qu'une petite fille pourrait avoir de son père, son héros. Lorsqu'il est parti, j'avais rendu à mon père son humanité et je l'en aimais encore plus. Les illusions passées, et transcendées, je pouvais accompagner cet homme, et juste cet homme, sur ce chemin qui lui était inconnu. J'ai fait au mieux avec ce que la vie me donnait de possibilités. J'ai investi sa cérémonie d’au revoir pour que mon passage soit au plus proche de celle que je suis.
J'ai appris que la paix est la clé pour laisser partir ce qui doit l'être, et qu'il n'est jamais ni trop tôt, ni trop tard pour commencer à la trouver.
Newsletter de Janvier 2019 - publiée ici le 4 août, jour anniversaire de son départ, veille de son anniversaire de naissance